jeudi 29 octobre 2009

Patrick Garnier, au lieu... par Philippe Blanchon


texte écrit pour l'exposition à la librairie La Nerthe à Toulon (var). Exposition qui se prolonge jusqu'au début 2010. Les tableaux illustrant le texte sont présents à l'exposition.

Patrick Garnier, au lieu…

Raison ou déraison que de passer la porte de l’atelier chaque jour délesté des faux bagages, comme de se placer devant un arbre, un champ, de faire poser pour soi l’ami, l’aimée, l’enfant, un carré de charbon à la main ? question qui tombe devant la nécessité. Il n’est pas d’idées que dans les choses selon l’injonction du poète William Carlos Williams. Ce qui est vrai pour un poète l’est d’autant pour un peintre. Le même Williams qui pensait qu'une œuvre devait être localisée pour prétendre à l'universel, comme il soulignait la vertu de l’imagination qui engendre le réel (l’esthétique telle que définie par Reverdy) et non de fausses copies et soustrait aux écueils gesticulatoires. Le monde ne peut être perçu que par notre humanité : nos sensations, nos sentiments, nos émotions se mêlant à notre culture et à notre imagination. L'artiste est alors comme l'entendait Kafka "citoyen de la terre", acceptant cette condition et travaillant avec elle, à partir d'elle, rêvant quelque "au-delà" proche et lointain, dans la main et inaccessible, création face création. Imagination désentravée, pas seulement geste ou inscription. A partir du réel car la poésie est « l’indifférence à tout ce manque de réalité » comme l’écrit Perros. Cummings aurait pu tout aussi bien dire de la poésie qu’elle était un oui. Et la peinture de Patrick Garnier est un oui car il peint le monde donc l'invente.
Il s'agit de "trouver le lieu et formule", nous avons souligné l’importance du "lieu" et il est vrai que Patrick Garnier est le pays qu'il peint. Depuis plus de dix ans maintenant, au bord de la Manche il risque chaque toile, devant le vertige qui saisit dans un champ, au bord de la mer, entre les murs d’un atelier, le tambour qui bat comme pour le premier homme quand le ciel bourdonne aux oreilles, et les yeux s’ouvrent larges pour nous déposséder, grands ouverts. Voyant ou aveugle, voyeur possiblement aussi comme le Bloom de Joyce agressé par le borgne, le cyclope. Nul besoin de changer de sujet, le même visage, le même bouquet, le même bateau offrent une réponse esthétique nouvelle possible à chaque recouvrement patient ou non de la toile, dans le temps redéfini, comme il le fut par Proust ou par Faulkner. Patient ou non, l’artiste, et là en l’occurrence Patrick Garnier, étant simultanément Stephen et Léopold, le ciel la terre le tout renversé et le soir comme la mer se retire, vie soumise au calendrier des marées sous le regard de l’ânesse, de la jument, du héron, le chat le foin la dune, le oui des choses, son monologue fait du seul langage pictural…

Patrick Garnier sera un temps étudiant aux Beaux-Arts de Tours (d'où il est originaire) où il verra la peinture considérée le plus souvent comme un stock d'images mises à disposition pour des analyses partiales et partisanes. En 1987, il a vingt et un ans, il découvre l'œuvre de Van Rogger : la peinture comme fin en soi et libre absolument. En Touraine, tout d'abord, paysages et natures mortes aux tons sourds dévoilent des compositions et un dessin singuliers. L'apprentissage est rude, les doutes nombreux, avant de se retrouver à lutter sur le "même terrain" que ces prestigieux prédécesseurs (Van Gogh, Cézanne, Van Rogger) : en Provence. Un passage par Aix où Van Gogh l'éblouit dans ce pays de Cézanne. Cette marque laissée se creuse encore alors que Patrick Garnier s'installe à Marseille où son atelier est le laboratoire de découvertes inédites dans ses domaines, dessin et couleur : sa singularité se creuse. Suivra un passage par la campagne d'Aix, à Eguilles, où les paysages se noircissent, le désordre de cette campagne lui pèse (d'où le retour parfois à l'ordre énoncé par ces prédécesseurs), la lutte est bien certaine. Enfin viendra ce "lieu" trouvé, son Nord, son ordre : le Cotentin.

Sa liberté s’y conquiert, pays vierge pour lui où tout reste à faire, où il fait et refait le monde sans cesse, émouvant parce qu'ému, usant de tous les moyens dont dispose un peintre. Ezra Pound dit d’Arnaut Daniel qu’il était polyphonique, ce que l’on peut entendre comme exigence et réussite possiblement commune entre musique et poésie devrait trouver son équivalent pictural pour qu'il ne soit pas fait injure au monde et à sa diversité ni à l'histoire qui le précède et qui ne cesse de nous bouleverser, contemporaine. Ce serait cela « trouver la formule », et Patrick Garnier peintre autant qu'il est possible de l'être s'en approche à chaque coup de pinceaux.

Philippe Blanchon

Philippe Blanchon est poète, dirige la collection "classique" du libraire éditeur La Nerthe et gére la librairie La Nerthe à Toulon . Patrick Garnier a illustré deux livres de Philippe Blanchon.



Philippe Blanchon est aussi l'auteur de trois autres recueils: le poème de Jacques suivi de l'Ambassadeur chez Mona Lisait, Le Reliquat de Santé aux éditions de la Courtine,
Capitale sous la neige aux éditions L'Actmem avec une couverture illustrée par un tableau de Vincent Rivière.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire